La loi sur le divorce par consentement mutuel de 2006 a tôt fait de mener « la brigade des cocus » à l'échafaud. Fin « des affaires de bidets », comme on les qualifie dans le jargon de la profession ? Tout de même pas. Car certaines épouses bafouées ou maris cocus continuent à pousser leur porte. « Des farfelus, voire des justiciers ». Autres temps, autres mœurs, les détectives privés font aujourd'hui l'essentiel de leur chiffre d'affaire avec les missions à caractère commercial et industriel. 60 % des missions au niveau national comme ils l'ont rappelé à leur grand congrès, le 6 mars dernier. Recouvrement de loyers impayés, fraude à l'assurance, clause de non-concurrence, ajustement de pensions alimentaires, vols sur le lieu de travail… La liste est longue et, crise oblige, la source n'est pas près de se tarir. « Les patrons en sont friands », indique Pascal Bonnet, un privé établi à Châlons-en-Champagne. La profession leur doit d'ailleurs ses lettres de noblesse, qui remontent à l'Antiquité, avec la naissance « des agences d'affaires ». En 1833, l'ancien bagnard et ex-chef de la Sûreté François Vidocq « invente » le métier avec son fameux « Bureau des renseignements universels pour le commerce et l'industrie ». Mais il faudra attendre de nombreuses décennies avant que la profession trouve ses marques. « Nous avons d'abord été régis par la loi scélérate de 1942 prise sous le régime de Vichy », déplore Pascal Bonnet. Il souligne que « les années frics » n'étaient guère plus satisfaisantes. « Dans les années 80, il suffisait d'avoir une adresse et un casier judiciaire vierge pour exercer. Il n'était pas question de compétence. C'est pour ça qu'il y a toujours eu des farfelus, voire des justiciers, dans la profession. » Depuis, juré craché, les privés se sont assagis. Ce qui n'empêche pas les dérapages, comme dans l'affaire d'espionnage privé d'Olivier Besancenot, qui a récemment braqué les projecteurs sur le patron de la société Taser. Pour sa part, l'État joue le jeu pour redorer le blason des privés. « Avec la loi de mars 2003, il faut un passé irréprochable. C'est-à-dire ne pas figurer dans les fichiers de la police et de la gendarmerie et disposer d'une qualification professionnelle », se félicite Pascal Bonnet, lui-même diplômé de l'Institut d'études judiciaires de Nancy. Mais la profession en veut davantage. Elle réclame maintenant une carte professionnelle, la possibilité d'accéder à l'état civil complet et au fichier des immatriculations. D'autres rêvent d'un accès aux fichiers de la police et de la gendarmerie. Il est clair par ailleurs que « la disparition du juge d'instruction pourrait nous donner un nouveau souffle. Il n'est pas question de se prendre pour Zorro mais nous sommes un levier pour participer à la manifestation de la vérité », estime Pascal Bonnet. Il est favorable à une structuration de la profession. « À condition de garder son indépendance et de rester dans l'ombre… »
Chiffres tabous Les honoraires sont libres, mais en province, l'heure de travail est facturée au client entre 60 et 80 euros. Ce ne sont évidemment que des moyennes qu'il convient d'ajuster en fonction de la durée et de la localisation de la mission mais aussi d'éventuels frais annexes. La note est aussi fonction de la notoriété du privé et du profil des clients. Combien sont-ils ? Sept dans la Marne, un pour les Ardennes et trois dans l'Aisne. Onze agents se partagent le gâteau de l'enquête privée en Champagne-Ardennes. Trois sont des ex-policiers ou des gendarmes à la retraite. Une proportion conforme à la moyenne nationale où ils représentent 20 % des quelques 1.500 détectives. Salaire ? Le seul chiffre qui circule sur la toile fait état du SMIC pour les débutants. De l'avis de plusieurs privés de la place, la bonne fourchette varie entre 3 et 6.000 euros net mensuels pour un cabinet de province qui tourne bien. Pour environ 200 heures par mois, un bon détective peut même empocher jusqu'à 8.000 euros net. De quoi susciter des vocations si l'on est prêt à camper de longues heures dans sa voiture, nuits et week-end compris. Missions impossibles ? Un privé avoue refuser quatre dossiers sur dix en moyenne. Soit parce que les sommes en jeu sont ridiculement basses. Autre motif de refus : les missions en marge de la légalité. Le taux de réussite, quant à lui, oscille entre 60 et 65 %. Cause principale des échecs : « Quand les renseignements fournis par le client sont erronés » Du mythe à la réalité Philip Marlowe, l'amateur de blondes et de bon whisky, Sherlock Holmes, sa pipe et surtout sa mémoire d'éléphant, le Belge Hercule Poirot, son flair infaillible et ses moustaches cirées… Le cuir de ces héros du roman noir est épais. Il est donc normal que les mythes qu'ils véhiculent aient la peau dure. Pour éviter les désillusions, les détectives en herbe seraient bien inspirés de tordre le cou aux vieux clichés. Pour ça, il faut, et c'est élémentaire, passer les textes à la loupe. Quelle formation ? La voie royale passe par l'Université de Paris II, Panthéon-Assas. Avec un diplôme d'Université puis d'État, elle garantit une formation dans les règles de l'art d'un volume de 400 heures, sanctionnée par une licence « enquêtes privées ». Il existe d'autres diplômes homologués comme celui de l'institut de formation IFAR à Montpellier. Le législateur a d'ailleurs réglementé l'accès à la profession en requérant une formation dans son décret de mars 2003. Il faut en outre montrer patte blanche avec un agrément préfectoral et une inscription au Registre des Certifications professionnelles sous l'intitulé « enquêtes privées ». Seule exception : les anciens officiers de police judiciaire (OPJ) qui bénéficient d'une équivalence. Quels droits ? Contrairement aux idées reçues, l'enquêteur privé est logé à la même enseigne que le citoyen lambda. Il n'a pas de pouvoir spécifique. Il jouit ni plus ni moins des droits ouverts à tous. Son efficacité repose sur son art consommé de la filature et de la dissimulation, sa pugnacité et son bagout. Carte ? Chaque agence privée a la possibilité de créer la sienne, à défaut d'une carte professionnelle uniformisée et reconnue par le ministère de l'Intérieur. Restriction : elle ne doit pas être calquée sur une carte officielle. De police par exemple. L'arme fatale ? Appareil photo, caméra, ordinateur, voiture, moto, internet, logiciels spécifiques, matériel de détection pour émetteurs clandestins… La panoplie du parfait détective n'a rien d'extraordinaire en soi. Un ancien gendarme reconnaît utiliser le logiciel d'analyse criminelle de son ancienne boutique en vente libre. Un flingue ? Pas de port d'arme pour le privé. Il n'est pas non plus le porte-flingue des maris cocus ou des chefs d'entreprises floués. Ligne jaune et liste rouge. En principe, il ne peut pas identifier une plaque minéralogique ou obtenir de numéros en liste rouge sans l'aval d'un juge. Offre de preuve : le rapport de l'enquêteur privé a valeur de simple témoignage que seul le juge est autorisé à valider dans le cadre d'une procédure civile. Contre-enquête. Il peut reprendre un dossier pénal déjà jugé dans l'espoir d'y dénicher un élément nouveau susceptible de faire rouvrir l'enquête. Ses investigations et auditions doivent être conformes à la procédure. Pascal Bonnet, 46 ans, quant à lui su très vite ce qu'il voulait. Il devient détective en 1985 à l'issue de son service militaire dans la gendarmerie. Il faut dire qu'il a baigné dedans tout petit. « La passion du renseignement et le goût de l'investigation viennent de mes racines familiales. J'avais plusieurs parents dans la police nationale ou ferroviaire ». De son côté, Pascal évoque du bout des lèvres l'affaire de sa carrière. Un innocent - c'est son intime conviction - condamné pour le meurtre d'une jeune femme. Et, il en est convaincu, en lien avec une série d'autres meurtres jamais élucidés et un rabatteur présumé pour notables pervers… Une affaire classée. Pour faire plus léger, il raconte comment il s'est retrouvé un jour face à trois gendarmes aux sourcils froncés, dans une petite bourgade du coin. « En filant un gars dans la ville, j'ai croisé à plusieurs reprises et par hasard une autre personne. ». Cet inconnu s'est senti suivi et s'en est ouvert… à ses collègues ! |